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Vassili Grossman

La madone sixtine

Traduit du russe par Sophie Benech
Éditions Interférences, 72 pages, 13,00 €.

Les deux textes réunis dans cette élégante édition ont été écrits par Grossman entre 1955 et 1960, époque où l’écrivain, miné par la confiscation du manuscrit de Vie et Destin par les autorités soviétiques, s’est plongé dans des réflexions sur le sens de la vie et le sens de l’humain. La Madone de Raphaël, emmenée à Moscou après la chute de l’Allemagne nazie, est restée sous clé pendant dix années, puis, avant que les tableaux ainsi conservés ne soient rendus, ils sont exposés au public pendant quelques semaines. Grossman, le 30 mai 1955, après avoir fait la queue, vient se planter devant la Madone, découvrant en elle et comme pour la première fois le sens de l’immortalité. Il n’en faut pas moins pour que toute la méditation de l’écrivain embrasse la question du temps et de l’histoire humaine, et avant tout celle de la vie. Car c’est bien la vie que Raphaël donne à voir, au-delà de toute contingence et par le miracle d’une inscription dans les choses humaines : « Sa beauté est étroitement liée à la vie terrestre. Elle est démocratique, humaine ; elle est inhérente à la masse des êtres humains (…) » C’est sans doute que le destin terrestre n’est pas nié dans cette vision de l’immortalité, car ce qui défie le temps est peut-être cette capacité toujours renouvelée de la vie à affronter le destin. Aussi, Grossman est-il conduit, à partir de l’évocation du destin, à charger le terme de toute l’intensité dramatique qu’il ne peut que prendre en cette époque : la vierge de Raphaël avance vers son destin et celui de son enfant à la manière de ces femmes avançant vers la chambre à gaz, elles aussi un enfant dans les bras. Raphaël aussi, avec quatre siècles d’avance, parle de cela, car cela n’a pas de date : « À notre époque, une jeune mère met un enfant au monde. C’est terrible de porter un enfant contre son cœur et d’entendre les hurlements d’un peuple saluant Adolf Hitler. » La vierge de Raphaël est l’éternelle contemporaine : elle et son fils vont au devant : guerre, fascismes, collectivisation, déportation.
Et face au poids du destin, elle est la victoire, car elle reste l’affirmation de la vie contre les forces de la mort : joie et sérénité. Quelles que soient les ombres menaçantes qui s’accumulent, quels que soient les orages que l’on devine.


Repos éternel
est un écrit miraculé, oublié, retrouvé par hasard dans des brouillons. On ne peut que s’en réjouir. Grossman y aborde dans un subtil dosage d’ironie et de gravité les relations des morts et des vivants. Et montre qu’elles viennent se substituer très avantageusement aux relations entre vifs : non qu’il reprenne la vieille antienne voulant qu’un mort ne peut qu’avoir été un être de bien. Le cimetière lave des culpabilités, des tensions, des drames et des mesquineries insupportables : le cimetière apaise, et ce serait pourquoi tant de monde s’y précipite les jours de congé. On y trouve ce que la vie dans ses tracasseries ne donne pas forcément, le calme de relations paisibles avec ceux qui vous furent proches. S’agit-il d’honorer les morts ? Non pas, seulement les remercier de cette gentillesse qu’on peut leur dispenser sans qu’ils s’en plaignent. Texte magnifique s’il en est, au travers duquel un Grossman parfois satirique et parodique dresse le portrait de la société soviétique – mais ce pourrait tout aussi bien être celui d’une autre. E.M.

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