Herman Melville
John Marr
bilingue, traduit
par Armand Farrachi
alidades 1998,
collection bilingues, 12,5 x 21 cm, 32 pages, 4,80
ISBN 978-2-906266-32-2
Durant les 35 ans
qui séparent Confidence man (1857) de Billy
Bud (1891), Herman Melville, contrairement à ce quon
croit souvent, na pas tant renoncé à lécriture
quà la prose. Trois livres de vers paraîtront en effet
entre ces deux romans : Battle pieces, en 1866 ;
Clarel, en 1876 ; et John Marr and other
sailors, with some sea pieces, en 1888.Les poèmes de
John Marr sont précédés dun texte en prose, mais prose
ample, harmonieuse et profuse, qui constitue à la fois une
invocation, une parabole sur lexil intérieur dun
navigateur encalminé en plaine, une victoire de
limagination sur la nostalgie, du verbe sur la réalité
texte charnière qui dissout la prose en vers et la terre
en mer. Il a seul été traduit ici avec le poème qui lui fait
suite.
John Marr, marin
parmi les paysans, est comme le «compagnon spirituel» de
Melville, écrivain de génie ignoré de ses contemporains, et
qui finira sa vie en fonctionnaire anonyme, comme la kafkaienne
cantatrice du peuple des souris : enfoui dans le même
oubli que tous ses frères. (A.F.)
Extrait :
(...)
Bien
que les compagnons de bord de John Marr ne puissent tous
avoir quitté le monde, ils étaient devenus
jusqualors sujets de méditation, comme les
fantômes des morts. À mesure quune plus grande
sensibilité à ce qui lentourait le jetait dans
des pensées plus rétrospectives, ces fantômes, proches
de ceux de sa femme et de son enfant, devinrent des
compagnons spirituels, ayant perdu leur premier flou pour
revêtir un semblant de vie muette, éclairés par
lauréole qui nimbe tout ce que lon aima un
jour et à quoi un cur porté à limagination
tend passionément à sunir.Il
invoque ces visions, sefforçant dentrer avec
eux en communion verbale, ou, sous leffet
dune plus forte illusion leur fait grief de leur
silence :Puisque
vous vous montrez au pont au quart de la nuit,
Pourquoi donc, mes garçons, ce silence envers moi,
Votre vieux compagnon de quart et de veillée ?Autrefois,
par la mer partout enténébrée,
Votre voix sélevait, et claire assurément
Sonnait quand vous haussiez gaiement le tourmentin
Pour enfoncer son chant dans le chant des tempêtes :
«Orage que la vie quelle fasse donc rage!»
Pour vous ce qui advient était écrit, enfants
Qui preniez à lempan la mesure du monde ;
Et ne tenant pas plus à la vie que cela,
Qui tenez votre vie au creux de votre main,
Écumeurs, qui étiez sur les quatre océans
Albatros au grand large, alouettes à terre.
(...)