Noel Monahan est né à Granard, dans le comté de Longford. Il vit aujourd’hui à Cavan, où il a travaillé au St Clare’s College. Après avoir entrepris des études au séminaire il a renoncé à la prêtrise et s’est tourné vers l’enseignement. Ses intérêts l’ont porté vers la musique, les arts et l’écriture. Auteur de plusieurs pièces de théâtre, il aborde aussi le domaine de l’opéra et de la composition musicale. Son premeir recueil, Opposite Walls est publié en 1991 par Jessie Lendennie aux éditions Salmon Poetry ; le dernier et huitième, Journey Upstream, est paru en 2024, toujours chez la même éditrice. Les Éditions de l’Arbre ont fait paraître un choix de ses poèmes en 2014 sous le titre Celui qui porte un veau. En 2015, les éditions Guanda à Milan réunissent une sélection de poèmes sous le titre Tra una vita et l’altra.
Les Russes arrivent
The Russians are coming
Poèmes traduits de l'anglais (Irlande) par Emmanuel Malherbet
Alidades, 2025
Bilingue. 12,5 x 21 cm, 56 pages, 6,50 €.
ISBN 978-2-494935-15-0
Il y a chez Noel Monahan au moins deux tendances concurrentes (et qui s’accordent parfaitement) : l’une est méditative, parfois presque mystique ; l’autre amusée et satirique. Les réunit une tonalité à la fois bienveillante et nostalgique, assumée comme la marque évidente de la présence de l’auteur : il y a du cocasse, du grotesque, du risible et même du trivial dans certains poèmes, mais c’est en vain qu’on y cherchera un jugement. Les évocations les plus prosaïques sont portées au compte d’une geste emblématique, celle de la vociférante (et parfois pitoyable) grandeur de l’humanité. Pareillement et comme en miroir les thèmes «nobles» n’échappent pas à la dimension prosaïque, ainsi cet homme de Clonycavan dont la coiffure savante supposait l’usage de gel à cheveux.
De la sorte, tout un monde se met à exister. Un monde chaud, vivant, signifiant, visible. Ce monde est celui de l’auteur (lui-même le réaffirme dans un entretien récent : on ne parle que de ce que l’on connaît et de ce que l’on aime). Ce qui n’empêche qu’il s’ouvre à d’autres horizons, aussi désirés que craints. Peut-être que si les Russes venaient...
Les poèmes réunis ici sont extraits de différents recueils et couvrent une longue période d'écriture. On y rencontre une bonne-femme de neige aux formes généreuses, des buveurs de bière dans un pub, des scènes du passé irlandais autant que du passé familial, de vastes ouvertures sur les paysages aussi bien que de touchantes anecdotes.
Ce livre a été publié avec l'aimable autorisation de Salmon Poetry.
Extrait :
Les Russes arrivent
Les Russes arrivent demain
ces païens de Russes arrivent samedi
semer le désordre
quand il n’y a pas école,
pourvu que ce soit bien demain.
Ils vont pendre tous les enrichis
consigner dans des cahiers rouges
ce qui touche aux bibles, à la brillantine,
aux verts almanachs d’Irlande,
fileront de la vodka aux abstinents et forceront
vieilles filles et vieux garçons à se faire de l’œil.
Trois journées de ténèbres
les précéderont, a dit solennelle
Sœur Concepta la nonne ;
et quand les Russes seront là
nous cesserons d’être humains.
Mrs. Blaney leur servira le thé
et des petits pains fourrés aux prunes,
Rosie va bien tirer ses bas nylon,
Cissy Brady potasser l’horoscope,
se préparer à toute éventualité.
Tous les gars qui travaillent,
tous les gars qui n’ont jamais rien fait,
défileront de bonne heure au pas de l’oie
les faucilles tout astiquées
sur l’épaule, éclatantes contre le ciel.
Et quand ils reviendront le soir
l’ère spatiale aura commencé,
avec des myriades de spoutniks
fonçant vers la lune
depuis les douves au-dessus de la ville.
Les Russes arrivent demain,
ces païens de Russes arrivent samedi,
il va se passer tant de choses,
tant de nouveaux trucs à faire…
Ils ont intérêt à venir.
Celui qui porte un veau
The Calf-Bearer
Poèmes traduits de l'anglais (Irlande) par Emmanuel Malherbet
Éditions de l'arbre, 2014,
Bilingue. 15,5 x 17 cm, 64 pages, 15,00 €.
ISBN 978-2-85278-196-6
Ce qui se construit au fil de ces poèmes est bien la matière ramifiée d’une pensée et d’une existence. Le passé s’impose dans l’ouverture indépassable d’un espace mental forcément inachevé puisque l’émotion demeure, sans doute réévaluée, revisitée, mais avec la force lancinante de quelque chose d’essentiel à l’identité de celui qui parle. Il ne faut pas s’étonner alors que des ponts soient jetés, rattachant le lointain au proche : ainsi de ces ânes près de Leitrim qui semblent revêtus des «impers gris» des jours de pluie, ou de ces figures immémoriales d’un coup parentes de ces peep-girls dont l’identité virtuelle se ramène à un numéro de mobile. De même figures et lieux, voire plantes, prennent valeur emblématique. Le séneçon des rocailles et des terrains vagues peut sortir de sa banalité, devenir destin et matière à penser. Ou l’épouvantail, dont on ne sait plus guère s’il est de triques et de chiffons, ou l’achèvement peut-être de quelque existence immobile, parente semble-t-il de cette vieille (mais l’est-elle, vieille ?) poussant sa brouette de brimborions en criant Amen, Amen!. Le poème renoue les fils dispersés, ou plus exactement il montre les nœuds : comment ne pas rapprocher le frai “mystérieux” des grenouilles, cosmique pour le moins, de cette étonnante question que pose le “poisson humain” des grottes de Postojna ? Qu’on soit balloté dans des trains à touristes, enfermé dans les salles d’un pensionnat, qu’on ploie sous le latin et les classiques, et qu’on en bave ; que le regard s’échappe vers le ciel de nuit et que l’ouïe s’étonne aux sons du soir ; que la mémoire parcoure à nouveau les chemins déjà vus, tout se tient, tout fait signe et s’appelle par la force des choses et de l’attention qu’on leur porte. Le porteur de veau du Musée de l’Acropole n’était-il pas déjà “un fermier comme mon père” ? (extrait de la préface)
Curve of the Moon (2010), d’où sont extraits les poèmes ici présentés, est le cinquième recueil publié depuis 1991 par Noel Monahan.
Ce livre a été publié avec l'aimable autorisation de Salmon Poetry.
Extrait :
Celui qui porte un veau
Ni les tresses du cheval de marbre,
ni les boucles de Koré ne m’ont tapé dans l’œil
au Musée de l’Acropole,
mais le regard tranquille de celui qui porte un veau.
Un fermier comme mon père, un veau
jeté sur les épaules ; son autel, un champ.
Il connaît les souffrances de la terre, la langue
des saisons, l’éclat du soleil, les coups de vent,
les pommes tombant dans le giron de l’automne,
l’hiver sous les branches de la lune.
Il allait solitaire, descendant de la montagne,
communiait aux secrets de la pierre et de la glaise,
regardait droit devant sans se retourner jamais,
sa maison toujours quelque part devant.