Ruth Fainlight
La chaumière anglaise
Poèmes traduits
de l'anglais et présentés par Michèle Duclos.
alidades,
collection Bilingues,
12,5 x 21 cm, 48 pages, cahier, 6,00 , ISBN 978-2-919376-62-9
Les thèmes qu'aborde Ruth Fainlight durant toute une vie de création littéraire vont du plus intime à une relation inquiète avec le cosmos et la société. Dans nombre de ses poèmes l’errance de l’insomnie est liée à la lune amie et complice dont les phases manifestent l’instabilité liée à la mutabilité du monde des apparences et à la fluidité du temps perceptible dans la récurrence des saisons. Le poète a fonction, telle la Sibylle, figure mythique à qui elle a consacré de nombreux poèmes, d’être psychopompe.
Par delà cette relation cosmique fondamentale, Ruth Fainlight a dans toute son œuvre, manifesté une sensibilité aux injustices sociales, raciales et ethniques. Elle dit son souci du regard blanc haineux ou hostile que perçoit l’homme de couleur sur un quai de métro londonien. Derrière les mythes qui unissent Méditerranée et Atlantique, elle dit sa réaction douloureuse tant au sort des «boat people» qui tentent leur chance entre l’Afrique et l’Europe qu’à celui des populations irakiennes puis syriennes exposées à la mort en même temps qu’à la destruction de leurs prestigieux trésors architecturaux. Elle-même s’est toute sa vie, fût-ce en imagination, sentie exposée et solidaire des exilés de l’intérieur. Devant les ruines prévisibles de la guerre récurrente, son thème le plus intime recoupe celui d’un Jardin d’Eden condamné.
Elle aborde avec grâce et litote les plus évanescentes de nos réactions et sensations, le plus infime des incidents ou des réflexions de la vie quotidienne et de l’écoulement du temps. Elle se pose en observatrice détachée à mi-chemin de l’étonnement amusé et de la curiosité ironique. Mais sous cette attitude perce le sérieux et la profondeur d’une femme animée par la spiritualité et des interrogations métaphysiques constantes.
Les poèmes que nous publions sont extraits des recueils de Ruth Fainlight parus entre 1980 et 2010, et donnent à connaître différentes facettes d'une écriture qui, en français, n'avait jusqu'alors été accessible qu'en revues.
Ruth Fainlight est née en 1931 à New York. Après des études d'art, elle a d'abord vécu aux Baléares, où Robert Graves a encouragé sa vocation de poète, puis à Londres où elle demeure aujourd'hui. Elle a publié, outre une vingtaine de recueils de poèmes, deux livres de nouvelles, des traductions de l'espagnol, du portugais et du grec. Elle-même a été traduites en de nombreuses langues, dont l'hébreu et le croate.
extrait :
La chaumière anglaise (extrait)
Adolescent, mon père était patriote,
travailliste bon teint. Mais bien
qu’il se sentît tout à fait anglais, le fait
est que pour les natifs de toutes les classes
il était un levantin retors et gras
et le resterait. La solution fut pour lui
de quitter le pays, de partir assez loin
de “passer pour un blanc” là où il pourrait
jouer à l’Anglais cent pour cent authentique
(mais plus fier encore d’être Juif).
Peut-être parce qu’elle venait de la Bucovine,
ma mère n’avait pas d’illusions. Elle était habituée,
de naissance, à être rejetée. D’abord le choc
d’Ellis Island : un autre monde, une autre
langue (je savais le mal qu’elle s’était donné). Puis
encore le déracinement ; bien que les années trente
ne fussent pas vraiment propices : son mari agité,
– beau, rêveur, apolitique –
sujet au mal du pays, la traîna vers l’Angleterre.
Je me précipitai au cœur du feu,
au plein centre des ennuis, de l’éclat, du danger ;
dansai comme Esméralda, sur le Table Ronde,
aussi désespérée que s’il en allait de ma vie.
Telle fut ma tactique en ces temps anciens.
Aujourd’hui (même si je fais scrupuleusement l’autochtone)
toit de chaume et poutres apparentes ne peuvent camoufler
l’étrangère. Le carillon se moque de moi.
Parfois je me demande si cela aurait pu mieux aller :
sourire gentiment et manger le plat
de lentilles – mais ne vendre jamais
mon droit d’aînesse pour une chaumière anglaise.
accueil / haut de la page