Les trois quarts / Tres cuartas partes
Poèmes traduits de l'espagnol (Mexique) et présentés par Cathy Fourez et Jean Portante.
Bilingue, Alidades, 2024,
            12,5 x 21 cm, 64 pages, 7,00 euros.
ISBN 978-2-494935-05-1
José Ángel Leyva (Durango, Mexique, 1958), écrivain, journaliste, éditeur et promoteur culturel, dirige la maison d’édition et la revue littéraire La Otra, est responsable des publications de la UACM (Universidad Autónoma de la Ciudad de México) et collabore aux suppléments culturels La Jornada Semanal et El Laberinto. Il a publié plus de vingt-cinq livres dont des recueils de poésie, des nouvelles, des chroniques littéraires, un roman, des essais ainsi que des textes de vulgarisation scientifique.
L’exploration à laquelle convie Leyva dans Les trois quarts (2020) fouille les arcanes de la terre, se perd dans la «clarté terrible» des eaux, se fond dans l’organique et l’inorganique du beau et du hideux, s’incruste dans des biographies mutilées qui n’en ont pas fini avec la lutte. Ses vers traversent l’immensité des êtres et des choses qui se mêlent et s’emmêlent pour creuser la partie qui fait défaut – le «quart» absent, sous-entend le titre du recueil –, le silence qui accompagne le bonheur ou qui bâillonne le malheur. Poursuivre cette carence en appelle aux «quatre» éléments présentés tantôt comme matières brutes, tantôt imagés et ardemment adjectivés pour respirer l’irrespirable ou aspirer (à) des horizons prometteurs encore endormis, tous intimement liés à la trajectoire personnelle de Leyva.
Écho(s) :
• “Poésie terrienne et terrestre, poésie humaine, poésie ancrée.”
Isabelle Baladine Howald, Poesibao.
• Jean-Christophe Belleveaux, Recours au poème, 6 janvier 2025.
Extrait :
LES TROIS QUARTS
Une poignée de terre n’est pas un homme
        Les trois quarts font du rêve la substance 
        le souffle cérébral d’un feu qui s’oublie 
        le tremblement de l’œil devant la chair 
        Fugace elle imprime la gravité du jour
        En repos elle respire des nuits lestées de rosée
        éclairées par des torches et des lampes d’ancêtres 
        qui ont mis à sécher questions et peau après le naufrage
      On ne sèche pas – à vrai dire – la clarté de l’expérience
        On n’est pas certain d’être ni de trouver des réponses
        L’incertitude ouvre les valves de la faim
        de la douleur la démangeaison la tempête l’aube
        Combien de fois la main lance-t-elle un signal de bienvenue
        et de deuil
        incapable d’ensevelir ou d’éparpiller la poussière d’un cœur à l’autre
        de retenir l’alphabet qui s’évade du carnet de notes sur la table
      De l’ignorance à la question les paupières s’ouvrent et se referment
        perplexes devant cette lumière qui voyage occultée par l’oreiller
        visible dans des larmes sans sel suspendues à la terre
        Ce n’en sont pas les décombres d’hier mais les ruines
        d’un avenir fait d’oubli
        une langue déserte de confiance et d’air
        La justice ne prescrit pas s’il y a un demain
      On peut voir nettement les empreintes
        d’images d’un moi suivi des autres
        La foule du sud en quête d’un nord 
        sans rien à vendre ni recevoir en échange 
        juste la racine qui rend verticale la mémoire
      Du temps il y en a et de la soif pour attendre la mort
        sous l’arbre sans feuilles qui jette de l’ombre
      L’absence de dieu chasse la peur
        Le père et le fils stimulent la synapse
        qui laisse voir leur commune solitude sous les ponts 
        les trois quarts liquides de l’homme 
À Juan Gelman