Victor Astafiev
Le roi poisson
conte traduit du
russe par Maroussia Comparat
avec un dessin de Sergueï Eloyane
alidades 2005,
collection Petite Bibliothèque Russe, cahier de 12,5
x 21 cm
44 pages, ISBN 978-2-906266-65-0, 5,00
Victor Astafiev naît en
1924 en Sibérie. Après la mort de sa mère il s'installe avec
son père à Igarka, au bord de l'Iénisseï. Placé en
orphelinat après une fugue, il en sort à quinze ans et gagne sa
vie d'abord comme docker puis comme pêcheur sur le lac Makovski.
Ce sont la nature sibérienne et son expérience d'enfant et
d'adolescent qui nourrissent ses premiers textes et ses premiers
poèmes. Après la guerre il s'installe dans l'Oural où il
exerce le métier de journaliste. Il meurt le 29 novembre 2001 à
Krasnoïarsk, des suites d'un accident vasculaire cérébral. Le
prix Gorki lui a été attribué en 1975 pour l'ensemble de son
uvre.
Mi-conte, mi-nouvelle, le
Roi Poisson reprend les thèmes chers à l'auteur : la nature
sibérienne, la tradition, la place de l'humain.
Extrait :
" Il y avait là-dessous
un gros poisson, massif, qui donnait à la corde des à-coups
rares mais assurés, sans céder à la panique et se fatiguer
inutilement en fonçant de droite à gauche. Il tirait vers le
fond, partait de biais, et plus Ignatitch le remontait, plus il
devenait féroce et pesait sur la ligne avec ténacité.
Heureusement quil ne donnait pas de brusques coups de
boutoir, car les hameçons se seraient entrechoqués, les pointes
seraient venues se briser contre les flancs de la barque ; et
là, pêcheur, gare! Ce nest pas le moment de
sendormir! Les aiguillons viennent se ficher dans la chair
et les vêtements, sils cassent on sen tire bien,
autrement il faut réussir à saccrocher au bord, et
cisailler au couteau
le fil de nylon attaché au sommet de la ligne flottante,
sinon
.
Il est risqué et peu enviable,
le sort du braconnier : pour attraper quelques poissons, on
sexpose à pire que la mort le garde-pêche. Il
sapproche sans un clapotis, tapi dans le noir, et hop! te
met la main au collet. Cest le déshonneur, les pertes sont
incalculables, et en cas de résistance cest la prison. A
force de vivre comme des voleurs sur la rivière de leurs
ancêtres, les hommes du pays sy étaient faits : ils
étaient comme dotés dun organe supplémentaire,
mystérieux. Voilà notre pêcheur aux prises avec son poisson :
cramponné à la ligne, il est tout entier absorbé par sa
tâche, la frénésie le gagne, et la seule chose à laquelle il
aspire est de remonter la bête! Ses yeux, ses oreilles, son
esprit, son cur, tout en lui poursuit ce but, chacun de ses
nerfs est tendu comme une corde de violon, ses doigts sont
littéralement soudés à la corde, mais
Quelque chose, ou
bien quelquun, là, au-dessus de lestomac, dans la
partie gauche du torse, mène sa petite vie à lui comme un
pompier de garde à toute heure du jour et de la nuit. Ignatitch
se débat avec son monstre, dirigeant sa prise vers la barque,
mais lautre, le petit veilleur de sa poitrine, tend
loreille et scrute inlassablement lobscurité. Au
loin une lueur scintilla, et dans la seconde, le petit veilleur
donna lalerte : Quest-ce que cest que ce bateau
? Représente-t-il un danger ? Faut-il lâcher la ligne ? Laisser
le poisson plonger vers le fond ? "
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