Gagarine et la mort
Гагарин и смерть
Poème traduit du russe par Emmanuel Malherbet
Bilingue, Alidades, 2025,
12,5 x 21 cm, 40 pages, 6,00 €.
ISBN 978-2-494935-14-3
Andreï Anatolievich Timchenko (1967-2007) – Timchenov de son nom de plume – a suivi, après le lycée, les cours de l’École de Théâtre d’Irkoutsk puis a décidé de se consacrer à l’écriture. Il a été aide-soignant, charpentier, concierge et souvent sans emploi. Atteint de la tuberculose, dont il a guéri, alcoolique, irrascible, parfois odieux, imprévisible et talentueux, il supportait mal les efforts de ses confrères pour le soutenir. Son entourage se composait surtout d’alcooliques sans domicile fixe ; lui-même vivait dans une sorte de kiosque abandonné dont il avait fait son logement et dans lequel on l’a retrouvé mort des suites, semble-t-il, d’un coma éthylique. Il a été publié dans le recueil Une aventure nommée nouvelle vie (Irkoutsk, 1994), dans le magazine Jour et Nuit (Krasnoïarsk, 2003, 2005); dans les revues La lampe verte (2002), Le temps d’Irkoutsk (2002-2005). Il est l’auteur de Jeux de dominos avec Gengis Khan (Irkoutsk, 2001), Place du désert (Irkoutsk, 2004).
Gagarine et la mort est un long poème narratif aux tonalités oniriques, voire hallucinées parfois : le technicien Ignatiev, manifestement employé dans une boulangerie industrille ("l'usine à pain") semble en proie à une obsession en laquelle se nouent la fascination pour l'astronaute Youri Gagarine, l'inquiétude mystique et les conditions matérielles d'une existence problématique. Le poème fait alterner humour, lyrisme, exaltation métaphysique, dans une écriture particulièrement rythmée et inventive où les notations visuelles se mêlent à l'introspection. Timchenov n'hésite ni à créer son vocabulaire, ni à détourner les mots de leur emploi commun, ni à malmener la syntaxe, ce qui ne l'empêche pas de recourir quand il en éprouve le besoin à des schémas lyriques éprouvés qu'il utilise avec la plus grande maîtrise.
Ce texte inclassable a l'immense mérite de rompre sans complexe ni affectation avec ce que trop souvent nous croyons être de la poésie.
Extraits :
(...)
Le technicien Ignatiev mesurait le ciel
en long,
en large
et en travers...
Quand l’ingénieur chef n’y était pas
il venait au cercle faire ses rapports :
l’espace – moins hors de nous
qu’en dedans, est malade ;
et celui qui s’élève dans les airs
pleure néanmoins.
– Gagarine ne voyait pas ça comme ça! –
criait le technicien échauffé,
mais la salle vide ne répondait pas :
le vide de la salle n’était pas dans le coup.
– La mort s’éparpille du dedans,
de chaque “je” pris en lui-même!
Pour réponse, une jarre vide résonnait,
déversait une trombe de vide.
(...)
Tous les chemins vont à l’usine à pain:
c’est inévitable,
à pied ou autrement.
À gauche des voitures dans les ornières,
à droite, des locomotives.
Le technicien Ignatiev habitait
une baraque pour quatre familles, vers l’usine.
Il cultivait des patates au potager
Et du même coup, ses pensées.
(...)
Le père Leonid, écoutant une fois de plus
le technicien, était intraitable.
Rien de commun entre un temple et un laboratoire,
c’est la maison de Dieu!
Le technicien Ignatiev répondait
que les vols cosmiques dans les mondes intérieurs
en une approche
pres-que-lé-tha-le
de l’autel…
n’étaient pas du n’importe quoi mais,
il faut bien le dire, une révolution!
Pour en finir le père Léonid disait
«Technicien, tu ferais mieux de te taper une vodka!»
et sur ces mots partait farfouiller derrière
une bien charitable cloison.