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Bruno Gaurier

L'ombre de Fernando

Au bout du môle


Bruno Gaurier est l’auteur de plusieurs recueils de poèmes, dont L’ombre de Fernando (alidades), d’un récit, Le passeur (Desclée de Brouwer), d’essais et de nombreux articles liés à ses expériences de la réalité du handicap (préoccupé des questions d’éthique et d’éthique clinique, il est depuis peu médiateur, et poursuit son activité militante, pour une bonne part à l’international, au service de l’A.P.F. et de l’A.F.V.S.) Grand voyageur, par nécessité et par goût, grand lecteur, sa connaissance des hommes et du monde nourrit sa réflexion littéraire et spirituelle. Il se consacre et même se donne à la traduction, notamment de l’œuvre de Gerard-Manley Hopkins, dont il a publié l’intégralité des poèmes et des écrits de jeunesse aux éditions Le Décaèdre (ce qui lui a valu en 2003 le Prix Nelly Sachs de traduction et en 2004 le Prix O’Connor en Irlande). Outre une remarquable version de Le naufrage du Deutschland, de Hopkins, il a donné aux éditions alidades les Élégies du poète irlandais Desmond Egan.


L'ombre de Fernando


alidades 2001, collection ’Création’,
12,5 x 21 cm, 44 pages, 5,30 € – ISBN 978-2-906266-46-9

Il faut oser écrire, quand on ne cherche pas forcément à plaire. Le véritable poète se reconnaît peut-être, à tout prendre, à cette forme de courage qui consiste dans le don de soi, dans cette prise de risque par laquelle il se jette tout entier au devant d’autrui, non dans un acte d’exhibition égotique, mais mu par le souci du partage et de la connivence. Sa parole est reflet, expression d’un rapport au monde dans toute sa singularité sans pour autant s’énoncer dans la solitude, car il est vrai que le poème ne saurait nous habiter si lui ne l’est déjà. Le poème doit être lesté — il porte en lui quelque chose qui est de l’ordre du réel — sans que cela signifie qu’il soit lourd, ou didactique. Il se doit de l’être, car sans cela il ne serait pas, ou pur effet de souffle, songe creux.

Bruno Gaurier a ce courage, de chercher à dire ce qui le touche au plus proche et surtout de livrer, dans un mélange de certitude et de doute, le sens qu’il y voit inscrit. Son écriture est faite d’abord de rencontres, des hommes et des lieux de ces rencontres, qui viennent habiter pleinement la parole qui les accueille ; qui viennent parfois à ce point l’habiter que leur propre parole se substitue, en un jeu de contrepoint, à celle du poète. De la sorte l’écriture parvient à cet effet de proximité qui lui confère toute sa présence. Elle est faite aussi de la présence à chaque instant de l’écriture, soit qu’il s’agisse du dict intemporel des écritures, auquel la pensée de Bruno Gaurier fait sans cesse retour comme à l’acte fondateur de toute parole, et sans doute aussi, dans l’esprit du poète, de tout sens ou de toute recherche de sens ; soit qu’il s’agisse de l’acte littéraire appréhendé explicitement dans ce qu’il dévoile de l’être au monde, comme dans le poème L’ombre de Fernando, ou plus implicitement dans le recours à des formes d’expression (les voix doubles de Some Summer Day ou de La mère en son dernier matin) reprenant la technique contrapuntique qu’affectionne Desmond Egan. On y peut voir certes l’influence d’un écrivain sur un autre ; pour ma part j’y trouve surtout la marque de cette complicité et cette amitié qui ne peuvent manquer de s’établir entre un auteur et son traducteur et qui font que le traducteur ne peut que rendre hommage à l’écrivain qu’il a traduit, réinvestissant de sa sensibilité propre ce qui d’abord n’a dû être, au sens plein de l’expression, que langue étrangère. C’est pourquoi il ne me surprend guère que Bruno Gaurier fasse passer dans sa propre langue l’autre langue : écrire aussi en anglais ou écrire le dialogue des deux langues n’est pas ici affectation : mais effort d’ouverture au réel, on pourrait dire effort de réalisme. La poétique de Bruno Gaurier suppose cette sortie de l’étroitesse de soi, la prise en charge de l’altérité comme élément constitutif d’une parole vivante, c’est-à-dire non vaine ; et là encore, peu importe à quel niveau ontologique on place l’autre, car si le poète ne cache pas ses convictions (et pourquoi donc aurait-il à le faire ?), son écriture constitue à n’en pas douter un acte exemplaire de tolérance, d’ouverture et de compassion.E.M.

Extrait :

Comme en la pierre

Guetteur du haut de la vigie, lorsqu’il n’est point de terre au loin dans la lunette, que fais-tu de ton rêve au sommet de la vague ou de ses restes en lambeaux perdus
par le ressac ?

Que ne t’élèves-tu, guetteur, au-dessus de la pierre, et que ne quittes-tu la maison de rocaille à l’horizon de tes paresses!

Rêveur à l’œil opaque ou vide, quelle route à courir pour passer à la proue et recevoir l’embrun ? Guetteur ancré à l’en deçà, que risques-tu de ton regard bien au-delà, vers l’autre amer ?

Rêveur me connais-tu, que sais-tu de mon rêve ? Ami lointain tu prends la route, toi roulier de ces lieux.

Faut-il qu’ils te soient vains le verbe, le rêve, pour que pleure une rose où saigne l’églantier, pour que ploie sous le faix toute humaine souffrance où de main d’homme saigne l’homme.

Où s’amenuise le désastre, guetteur, dirige ton étrave.

Ailleurs surgirait-il, crois-tu, un autre rêve ?

Tu questionnes le monde et tes propres questions.

§

Mais ailleurs est ici, en ce lieu de la pierre où vient frapper le pied, le pied de l’homme à son obstacle, suiveur toujours, voyant parfois.

Porteur de ta réalité vécue, désirée, mienne aussi, dans le prompt quotidien qui te bat le visage ; porteur de nuit le temps du rêve ; porteur de jour, le temps d’écrire
et d’oublier.

Rêveur au bord du soir, aurais-tu peur du rêve en sa promesse, du verbe de ta plume et de l’encrier noir, insoluble le jour et dissolu vers la minuit ?

Retour de grand matin, rêveur, lorsque t’invite l’aube fléchie au bord de toi, que reste-t-il du rêve doux-amer ? Un roseau ? Une plume ?
L’ombre chinoise de tes mains ?

Et n’oublie pas rêveur le rêve doux-amer. Comme en la pierre il dort en ta mémoire, épargne-lui de s’effriter.

Du haut de la vigie, guetteur, que vois-tu ? Que dit la rose en
cet amer où saigne l’églantier ? Et que dit l’homme au-dessus
de la pierre ?



Au bout du môle

alidades 2009, collection ’Création’,
12,5 x 21 cm, 28 pages, 4,50 € – ISBN 978-2-906266-86-5

Ce poème est un hommage à deux paroles, celle de Pessoa, celle de Beckett. C'est aussi l'hommage aux rues de Lisbonne où le choix d'une lecture réunit les deux grandes voix au bord d'une mer qui est celle de L'ode maritime, aussi bien que celle de l'imaginaire universel des lointains.
Car ne sommes-nous pas tous à l'extrême bout d'une jetée, en attente d'un départ qui ne prend corps que dans le vent de ces paroles qui nous attirent autant qu'elles nous habitent et nous retiennent ?
Bruno Gaurier, traducteur et poète, sait ce que c'est que de s'adosser à ces écritures qui nous fascinent.

Extrait :

"Les trois en perte au bout du môle. Une amarre traîne à terre. Un bateau était là ? Il est venu – parti – revenu – reparti ? Appel – un cri – le cri des trois du bout du môle – les trois plus forts qu’un seul – corne de brume des trois unis dans un seul cri – le cri perdu – retrouvé dans le vent – hasard du vent pour le cri du hasard – une traîne dans le vent – longue traîne du cri lâché – perdu dans le vouloir du vent. J’appelle – nous appelons – trois vers pour un poème – un appel – notre appel – plus loin que l’autre bord du monde – où plus rien n’est que le bord – équilibre sur le bord – avant la chute – le pas de plus pour une chute – ou pour l’élévation – le relèvement – la relève – les relevailles – après la mort – petite mort du départ. (...)"



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