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Giovanni Verga (1840-1922)

PAR LES RUES / PER LE VIE

Volume 1

Volume 2

Volume 3

Volume 4

Volume 1

Récits traduits de l'italien par Olivier Favier et François Gent
alidades 2019, collection "bilingues", 12,5 x 21 cm, 56 pages, 6,00 €.
ISBN 978-2-919376-64-3

Giovanni Verga, né et mort à Catane (1840-1922), est une des plus grandes figures de la littérature italienne de la seconde moitié du XIXeme siècle. Admirateur de Flaubert, de Maupassant et de Zola, mais aussi du réalisme anglais et russe, il est le principal représentant du vérisme. Qu'il s'agisse de ses grands romans (Les Malavoglia, Mastro-Don Gesualdo) ou de ses très nombreuses nouvelles, son écriture est fondée sur une observation scrupuleuse de la réalité sociale et de la psychologie des personnages toujours mises en perspective par une profondeur dramatique totalement maîtrisée.

Par les rues réunit en un seul recueil en 1883 douze récits (dont dix publiés dans la presse à partir de janvier 1882) qui sont autant d'instantanés sur la vie milanaise de la fin du xixe siècle. Leur rythme lent, le ton légèrement amusé, parfois ironique, l'acuité descriptive, témoignent de la proximité de Verga avec les personnages et les situations qu'il a eu tout le loisir d'observer durant la vingtaine d'années où il a vécu à Milan.

Ce volume contient :

- Le bastion de Monforte
- Place de la Scala
- Au bal
- Le canari du N° 15

Extrait : Place de la Scala

" Foutue misère! comme disait Ghita. Les sous! Tout est une question de sous, dans ce bas monde! Ceux qui se promenaient rideaux fermés, ceux qui guettaient les jeunes filles devant le café, ceux qui se frottaient les mains, le nez rouge, en sortant du Cova! Il y avait des gens qui dépensaient cent lires et plus, au bal, au théâtre ; des dames qui pour couvrir leurs épaules nues avaient besoin d’une fourrure à mille lires, lui avait-on dit. Et cette file de carrosses luisants qui attendaient devant le palazzo Marino, dans le tintement superbe des mors et des freins d’acier, avec les laquais à côté qui vous regardaient de haut en bas, comme s’ils avaient un frein, eux aussi. Même son garçon, celui de l’Anonima, quand il était de service à la remise des voitures, après avoir enfilé ses mains sales dans des gants de coton, il se les gardait sur les cuisses, comme la statue du grand bonhomme en toge, et n’aurait même pas regardé dans les yeux son propre père. Bigio préférait son autre fils, celui qui aidait à l’impression du journal. C’est qu’il dépensait un sou pour lire sur son siège, entre deux courses, toutes les injustices et les friponneries qu’il y a de par le monde, et les mots imprimés lui servaient d’exutoire.

Le journal avait raison. Il fallait en finir avec les injustices et les friponneries de ce monde! Tous égaux comme Dieu nous a faits! Pas de manteaux à mille lires, ni de filles qui s’échappent pour chercher fortune, ni d’argent pour les acheter, ni de carrosses qui coûtent des milliers et des milliers de lires, ni omnibus, ni tramways, qui enlèvent le pain de la bouche aux pauvres gens. S’il doit y avoir des voitures, il faut seulement laisser celles qui font leur métier, sur la place de la Scala, et faire dégager aussi celle du n°26, qui trouve toujours le moyen de se mettre en tête de file.

C’est qu’il en savait un bout, Bigio, à force de lire le journal. L’été, il pontifiait sur la place de la Scala, et pérorait la nuit durant comme un prédicateur au milieu de ses camarades, qui criaient et se poursuivaient entre les roues des voitures pour passer le temps. De temps en temps, ils pointaient leur nez chez le liquoriste, qui avait toute sa boutique, là, dans son panier, sur le banc de la place. C’est bien agréable de rester au frais à cette heure, en compagnie, et l’on vient parfois vous prendre pour faire une course. C’est un bon endroit, la galerie est proche, deux théâtres, sept cafés, et s’il y a une manifestation à Milan, elle ne peut manquer de passer par là, drapeau en tête. Mais en hiver on a envie de tout autre chose! Les heures ne passent jamais, sur cette place blanche qui ressemble à un cimetière, avec ces lumières solitaires autour de ces statues, tout aussi froides. Alors viennent d’autres pensées – les belles écuries où il ne fait pas froid, Adele qui a trouvé un coin au chaud. Même celui qui prêche le jour l’égalité dans le journal, il dort tranquillement à cette heure, ou il rentre du théâtre, le nez dans la fourrure."

 

Volume 2

Récits traduits de l'italien par Olivier Favier et François Gent
alidades 2020, collection "bilingues", 12,5 x 21 cm, 56 pages, 6,00 €.
ISBN 978-2-919376-75-9

Ce volume contient :

- Amour sans fard / Amore senza Benda
- Une histoire simple / Semplice Storia
- La taverne des "bons amis" / L'Osteria dei "Buoni Amici"

Extrait : Amour sans fard

"Elle était là, dans cette ruelle sombre et tortueuse. À un moment où personne ne passait, il la serra dans ses bras. Dès lors ils ne connurent plus de paix ; le sang bouillonnait dans leurs veines, et ils se couraient après comme deux chats à l’époque des amours.
Madame Antonietta le sermonnait : – Attention à ce que tu fais! Attention, hein! – Et lui, troublé, les cheveux ébouriffés et les yeux exorbités, répondait toujours :
– Non! Non! Vous êtes folle! Ça non. Soyez tranquille!
Le vieux était jaloux des visites à la mère et des gens qui tournaient autour d’Olga. Il se plaignait qu’on l’avait trompé, et que la marchande de légumes lui pompait ses sous ; la sage-femme avait fait venir chez elle sa plus jeune fille, celle de San Pietro all’Orto, et ils mangeaient tous à ses dépens, disait-il. Ces soucis abrégèrent sa vie. Un jour Olga causait avec Sandrino près de la pompe, le seau à la main, car n’arrivant plus à rester tranquilles, ils en venaient à de tels prétextes pour se voir. Il chercha à lui prendre le seau des mains, tout tremblant. – Non! Non! dit-elle, le front baissé, la poitrine haletante, parce qu’elle était jalouse de Marietta. Et Sandro balbutiait que Marietta, c’était autre chose. Il le jura même. Il l’aimait bien, oui, mais…
À cet instant, on cria de la fenêtre qu’il était arrivé un accident au mari de madame Olga. Sandrino courut appeler sa femme et sa belle-mère. Tout le monde se planta devant le lit, l’air renfrogné. Dès que le vieux put donner signe de vie, et avant que le prêtre n’arrive, ils firent chercher le notaire. Au moment de paraître devant la justice divine, le moribond marmonna : – À chacun son dû. – Et il s’en alla en paix.
Quant à Olga, ils la chassèrent à coups de pied, Sandrino jurant qu’il la tiendrait à l’œil, même quand elle changerait de chemise, pour qu’elle n’emporte pas les biens de sa petite Marietta. Dans l’escalier, Olga criait que le vieil avare lui avait volé sa jeunesse, qu’elle allait les poursuivre en justice et raconter toutes les saloperies de cette maison. Mais Sandrino, retenant sa femme par les jupes, la caressait et lui disait : – Ne fais pas attention! Laisse-la s’égosiller! C’est une sale bonne femme, tu sais bien! Ne te fais pas de mauvais sang à cause d’elle! Maintenant nous devons penser à notre bonheur.
"

• "(...) Une grande tendresse émane de ces pages, de l'humour aussi, et de la gouaille, comme dans La Taverne des bons amis : « Parfois même ils y amenaient des femmes, et on était heureux, entre fripouilles »." Franck Mannoni, Le Matricule des Anges – n° 225, juillet-août 2021.

Volume 3

Récits traduits de l'italien par Olivier Favier et François Gent
alidades 2022, collection "bilingues", 12,5 x 21 cm, 56 pages, 6,00 €.
ISBN 978-2-919376-89-6

Ce volume contient :

- Jalousie / Gelosia
- Camarades / Camerati
- Chemin de croix / Via crucis

Extrait : Chemin de croix

"En entrant dans la boutique de la couturière Matilde chercha Santina des yeux. Puis elle se mit à côté d’elle et lui dit doucement:
– Tu es au courant? Poldo se marie.
Santina piqua un fard; puis elle devint blême et se pencha sur son ouvrage. Elle ne dit rien; elle ne le croyait pas; mais son cœur était envahi de pressentiments qu’elle revoyait défiler devant ses yeux. Seules ses lèvres tremblaient dans son effort pour retenir ses larmes.
Dès qu’elle put trouver un prétexte pour sortir, elle courut à la mairie et lut de ses propres yeux: «Leopoldo Bettoni et Ernestina Mirelli, de famille aisée». De retour à la boutique, les yeux gonflés, elle se fit sonner les cloches.
Le soir elle voulut lui parler à tout prix. Depuis quelque temps il lui disait: «Je resterai tard à l’atelier. J’ai un travail à finir.» Renna, qui travaillait avec lui comme doreur, s’était mis à rire. «Ne l’écoutez pas, mademoiselle Santina, ce sont des sornettes.» Sa mère, voyant qu’elle ressortait, le visage hagard, l’attrapa par les vêtements. «Où cours-tu? À cette heure…» Le regard fixe, elle ne faisait que répéter: «Laissez-moi sortir. Laissez-moi sortir…» Ceux qui la croisaient si tard et la voyaient courir sur le trottoir avec cette tête s’arrêtaient pour la lorgner à la dérobée; ou bien lui faisaient «psitt, psitt» dans le dos. Mais elle ne voyait et n’écoutait rien. Elle finit par trouver Poldo assis au fond d’un café des Cinque Vie3, au milieu d’une tablée, il regardait son verre pensivement. Quand il sortit dans la rue, il ne cessa de regarder autour de lui comme un voleur. Comme si son cœur l’avertissait. Elle l’attrapa par le coude au coin de la rue. «C’est vrai que tu te maries?» Poldo jura que non, les bras en croix, puis finit par dire: «Écoute, je n’ai rien. Toi non plus, tu n’as rien. Ce serait une sacrée bêtise, pour tous les deux.»

Volume 4

Récits traduits de l'italien par Olivier Favier et François Gent
Postface d'Emmanuel Malherbet
alidades 2023, collection "bilingues", 12,5 x 21 cm, 40 pages, 6,00 €.
ISBN 978-2-919376-97-1

Ce volume contient :

- Réconforts / Conforti
- La dernière journée / L'ultima giornata

Extrait :La dernière journée

"Le soleil couchant allongeait l’ombre du cadavre aux pieds sans souliers à la façon d’un épouvantail que les oiseaux fuyaient en silence. Des auberges alentour parvenaient le son de voix joyeuses et la chanson du Barbapedana. Au fond de la cour, derrière une rangée de petits arbustes rabougris, on voyait sauter et danser des jeunes filles échevelées. Quand la charrette qui portait les restes du suicidé passa sous les fenêtres illuminées, celles-ci s’obscurcirent subitement à cause de tous les curieux qui se pressaient pour voir. À l’intérieur, l’orgue de Barbarie continuait de jouer la valse de Madame Angot.
Plus tard on en sut un peu plus. La loueuse de Porta Tenaglia avait vu arriver cet homme à la barbe rousse un soir pluvieux, il y a un mois, mort de fatigue, avec sous le bras un petit baluchon qui ne devait pas beaucoup l’encombrer. Elle l’avait jaugé d’un coup d’œil pour savoir s’il y avait dedans les deux sous pour la chambre, avant de lui dire oui. Il lui avait d’abord demandé combien ça coûtait de dormir à l’abri. Puis chaque jour que Dieu faisait, il attendait l’arrivée d’une lettre, et se mettait en route dès l’aube pour aller la chercher, avec ses souliers troués, le dos courbé, déjà fatigué avant même de bouger. Finalement la réponse était venue, avec le petit timbre à cinq centimes. Elle disait qu’il n’y avait pas d’emploi à l’atelier. Comme ce jour-là il était resté très longtemps assis sur son lit, le papier à la main, les jambes pendantes, la femme l’avait trouvée sur le matelas.
Personne ne savait rien d’autre. Il était venu de loin. On lui avait dit : – Milan, c’est une grande ville, vous trouverez. Il n’y croyait plus. Mais il s’était mis à chercher jusqu’à ce qu’il n’ait plus de sous.
Il avait fait un peu tous les métiers : tailleur de pierres, briquetier, et finalement manœuvre. Mais depuis qu’il s’était cassé le bras, il n’était plus le même ; et les contremaîtres se le renvoyaient de l’un à l’autre pour ne plus l’avoir dans les pieds. Puis quand il en eut assez de chercher à gagner sa croûte il se coucha sur les rails du chemin de fer. À quoi pensait-il quand il attendait sur le dos, le visage tourné vers le ciel limpide et la cime des arbres verts ? La veille, alors qu’il revenait chez lui les jambes rompues, il avait dit : – Demain!”



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