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Mychajlo Chmajda (1920-2017)
S'en sont allés, petits pêcheurs
et autres ballades populaires du pays ruthène
Choisies, présentées et traduites du rusyn par Guy Imart.
alidades, 2023.,
12,5 x 21 cm, 44 pages, cahier, 6,00 . ISBN 978-2-919376-93-3.
"Le pays ruthène, patrie des Rusyny, forme un vaste quadrilatère entre plaine hongroise et plaine polonaise, dont les quatre extrémités peuvent être approximativement fixées à Lvov au Nord-Est, Nowy Sacz à l’Ouest, Kosnice au Sud et Mukacevo à l’Est. Il constitue ainsi une zone ethno-linguistique répartie entre Pologne, Slovaquie et Ukraine.
La partie centrale qui nous intéresse ici, axée sur Presov (Slovaquie) et Uzgorod (Ukraine), constituait avant 1945 la “queue” extrême-orientale de la Tchécoslovaquie. Plus tôt encore, on est là aux confins de l’ancienne Autriche-Hongrie et de l’Empire tsariste. Puis après 1945 la région, dans sa portion orientale jusqu’à Uzgorod, tombe dans le giron de l’URSS.
Cette région fut, au même titre que la diaspora et jusqu’à une date récente, une zone refuge pour l’intelligentsia ukraïnophile qui refusait la politique de russification/assimilation (ethnique, linguistique, religieuse, idéologique) imposée par la Russie puis l’URSS. Elle participa ainsi, à partir du XIXe siècle au vaste mouvement pan-ukrainien d’affirmation d’une identité ethnique, linguistique et culturelle propre, nettement orientée vers l’Occident.
La langue de ces Ballades, le rusyn, est une variante locale de l’ukrainien, caractérisée par une orthographe différente de celle de l’ukrainien littéraire et censée noter les particularités locales. Il ne s’agit cependant pas d’un patois, comme le voudrait une tradition – slavophile – contestée par les Ruthènes, qui font valoir que leur région correspond à l’aire primitive de fixation des populations recensées comme slavophones. En l’absence de mouvements massifs de population, ils tiennent leur langue pour du slave “primitif” tel qu’il a évolué, naturellement et in situ depuis environ quinze siècles." (Extrait de la postface de Guy Imart)
L’ethnographe et écrivain ruthène Mychajlo Chmajda (1920-2017) a réuni dans un important ouvrage – Ballades – nombre de ces chants-poèmes qui selon lui «forment un genre propice à la transmission concise des événements qui constituent la tragédie humaine d’une, de deux, ou parfois plusieurs personnes.» S’y expriment en toute simplicité, parfois brutalement, et dans une symbolique aux codes bien arrêtés, les craintes, les angoisses et les espoirs, la difficulté de vivre de tout un monde rural.
La traduction de certaines de ces ballades par Guy Imart en souligne l’extraordinaire poéticité tout autant qu’elle invite à la découverte d’une tradition culturelle inconnue de la plupart d’entre nous.
• Recension par Isabelle Baladine Howald (Poesibao, 7 avril 2023) :
"(...) [Meme si l'on ne connît pas] la langue de départ, on sent qu’il [le traducteur] a parfaitement rendu en français ce tempo particulier d’un chant cadencé, comme dans nos comptines ou récitations d’enfance.
On y trouve la matière des contes ; marâtres, orphelins, belle jeune fille prisonnière, jeune amoureux écarté de sa belle. [Ces chants] sont cruels comme il se doit, le sang et la mort les habitent autant que l’enfance et l’amour. Sont-ils pour enfants ? Oui, comme il se doit pour pouvoir comprendre et supporter à cet âge que l’angoisse est le fil entre le désir et la peur, et non, puisqu’ils parlent d’horreurs que nous n’oserions évoquer sans leur biais. Sont-ils pour adultes ? Non, puisque ce sont des contes, oui parce qu’ils parlent de la vie, de l’amour et de la mort."
extrait :
S'EN SONT ALLÉS, PETITS PÊCHEURS
S’en sont allés, petits pêcheurs
Attraper des poissons.
De brochet n’ont pêché,
Seulement un petit enfant.
S’en sont allés, allés, petits pêcheurs
En informer le bourgmestre,
Toutes les filles-demoiselles
Chez le bourgmestre de courir.
La douce Marie, Marousina,
Resta derrière,
Et autour de sa tête
A noué un ruban.
Douce Marie, Marousina,
Que t’est-il arrivé,
Qu’autour de ta tête
Aies noué un ruban ?
Ma tête me faisait mal,
Au-dessus des yeux noirs,
Voilà pourquoi l’ai entourée
D’un fin ruban hier soir.
Maman, maman,
Tu as cinq filles, cinq,
De se rendre aux veillées jamais ne leur permets,
Qu’à la maison elles dorment. Dorment !
Maman, maman,
Tu as trois filles, trois,
Ne leur permets jamais de se rendre aux veillées,
Enlève-leur la ceinture !
Ne leur permets jamais d’aller aux veillées,
De dormir sous toit étranger,
Il se pourrait que la nouvelle
Concerne l’une d’entre elles.
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