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Abdulrahman Khallouf

• Le bonheur est une abeille qui me pique à la hanche

• Un palmier dans un champ de mines / L'épicerie


Abdulrahman Khallouf, né à Damas en 1977, est diplômé de l’Institut des arts dramatiques de Damas. Il quitte la Syrie en 2002 – «parce qu’à vingt-cinq ans on a encore le temps de commencer ailleurs» – pour la France. Il vit aujourd’hui à Bordeaux, où il exerce le métier de metteur en scène.
Auteur de poèmes, d’abord en arabe puis en français, il a publié des pièces de théâtre ainsi qu’un recueil de chroniques sur la Syrie telle qu’il l’a connue et telle qu’elle n’est plus. Son œuvre, à la fois lyrique et réaliste, est essentiellement marquée par les questions de l’exil (y compris intérieur), de la guerre et du déracinement
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Le bonheur est une abeille qui me pique à la hanche

Poèmes traduits de l'arabe par Eve de Dampierre-Noiray et l'auteur.
Postface de Eve de Dampierre-Noiray. Édition bilingue.

alidades 20
22, 12,5 x 21 cm, 64 pages, 7,00 €, ISBN 978-2-919376-87-2

Voir paraître dans sa version originale arabe, avec la traduction française en vis-à-vis, le recueil d’Abulrahman Khallouf Le bonheur est une abeille qui me pique à la hanche, est à la fois une grande joie et un moment révélateur de sa trajectoire dans la géographie et dans les langues. Alors qu’il a quitté la Syrie et vit en France depuis vingt ans, il est passé d’une langue d’écriture à l’autre et ce n’est qu’aujourd’hui, après la parution de plusieurs de ses textes en français, que nous pouvons lire, après les poèmes de l’après, ces poèmes de l’avant, écrits en arabe entre 2011 et 2019.

Ce livre est bien un recueil au sens qui, en français, le distingue d’un florilège ou d’une anthologie. Les poèmes y sont reliés, malgré leurs écarts esthétiques, par un ensemble de fils au début invisibles, mais dont la teneur s’affirme au cours de la lecture. Le pas cadencé des hommes sur la route, un jour de fête nationale («Le jour du jugement»), semble résonner à nouveau lors des préparatifs de la guerre, cette grande célébration dont nul ne sait ce qu’elle célèbre, à la fois parade et parodie («Leçon de guerre»). Des chants et des clameurs traversent le paysage, d’un poème à l’autre : champs de coton, champs de tabac, fleuves et montagnes noires, gravies ou rêvées. Les visions surréalistes – des lettres suspendues au plafond, des mots sautillant comme des poissons, des arbres courbés qui s’appuient sur les hommes – se mêlent aux piqûres de rappel du réel, comme cette «abeille qui me pique à la hanche», sensation claire et vive de l’existence, tout à la fois souvenir de l’adulte et conscience qu’a l’enfant d’être au monde.
Ces fils entrelacés confèrent aussi au recueil sa forme singulière : celle d’un livre qui fonctionne autant comme une constellation, chaque poème existant seul et dans son rapport avec quelques autres, que comme un inventaire, une série de variations. À cet égard, il est donc aussi un diwan, c’est-à-dire un cahier ou un registre, et peut-être même un divan, l’endroit où l’on s’assoit ensemble, autour de la cheminée, autour du thé, pour réciter des poèmes ou raconter des histoires. Cette forme poétique qui tient à la fois du récit et de l’inventaire est un des traits marquants de l’écriture d’Abulrahman Khallouf. Ainsi ces «Leçons pour l’absent», dont l’enseignement se décline à travers plusieurs poèmes-épisodes de l’existence: gravité, hiver, sagesse, guerre, écriture. L’étrange lien que cette série de poèmes tisse entre ces mots projette sur eux et sur le monde un éclairage nouvellement poétique, parfois comique, et suscite de nouvelles questions. La liste surgit même au cœur du poème, telle une tentative de contenir dans cette forme humble l’intensité des visions, de compter des respirations sur les doigts d’une main, de «mettre en ordre» les paroles (Trêve) pour fabriquer «une charade», «une fable» et pourquoi pas «une famille et une maison». / Ève de Dampierre-Noiray


Un palmier dans un champ de mines / L'épicerie

Poèmes présentés par Eve de Dampierre-Noiray

alidades 20
20, 12,5 x 21 cm, 36 pages, 5,70 €, ISBN 978-2-919376-73-5

Les deux textes poétiques qui composent ce volume, “Un palmier dans un champ de mines” et “L’épicerie”, marquent dans l’écriture d’Abdulrahman Khallouf le passage d’une poésie en langue arabe, sa langue maternelle, à une poésie en français. C’est en arabe que, naturellement, il a écrit en Syrie ses poèmes de jeunesse puis, après son arrivée en France, des poèmes en vers et prose. Parallèlement, il a écrit en français des textes de théâtre et des chroniques.
Dans les deux textes réunis ici, le français devenu pour lui langue de poésie semble alors porter et mêler des mots, des images et des routes venues de loin et pourtant étrangement familiers. Malgré deux régimes de parole différents, ces poèmes se répondent comme deux faces d’un récit, comme deux rives du fleuve qui nous emmène dans l’univers d’Abdulrahman Khallouf, traversé de visions, d’objets, parfois obsessionnels : des chaussures, un puits profond, une fête mutilée, le loup, les saisons d’un temps cyclique et ancestral. Évocations qui jalonnent, tel un alphabet poétique, chacun de ces deux textes, pourtant habités par un mouvement opposé. “Un palmier dans un champ de mines” nous plonge d’emblée dans l’épanchement du sujet lyrique, portant sur son dos toute son histoire et aspirant à «habiter un mot qui n’existe dans aucun dictionnaire». À l’inverse, dans “L’épicerie”, la narration poétique retarde le moment où se dévoilent au lecteur la mémoire et les blessures de l’exilé. Mais l’évocation du pays quitté, rendu lointain par la distance géographique et culturelle autant que par les guerres qui le rongent – auxquelles le poète assiste sans savoir être «un touriste / ni un saint / ni même un soldat» – n’exploite jamais les images attendues. La voix poétique refuse de «céder au mal du pays», on lui a «confisqué tous les masques», elle résiste autant qu’elle peut à «cette mémoire maudite». Loin d’une posture poétique, la nostalgie est dotée d’une présence charnelle : un peintre perd dix doigts dans un tableau, un homme arrose le goudron, ou décide de marcher «dans le sens inverse des aiguilles». Ici, les ruses pour piéger l’absence ou chiffrer le vide expriment aussi leur surgissement permanent. Ève de Dampierre-Noiray

Abdulrahman Khallouf, né à Damas en 1977, est diplômé de l’Institut des arts dramatiques de Damas. Il quitte la Syrie en 2002 – «parce qu’à vingt-cinq ans on a encore le temps de commencer ailleurs» – pour la France. Il vit aujourd’hui à Bordeaux, où il exerce le métier de metteur en scène.
Auteur de poèmes, d’abord en arabe puis en français, il a publié trois pièces de théâtre ainsi qu’un recueil de chroniques sur la Syrie telle qu’il l’a connue et telle qu’elle n’est plus. Son œuvre, à la fois lyrique et réaliste, est essentiellement marquée par les questions de l’exil (y compris intérieur), de la guerre et du déracinement.

Extraits :


La moustache de mon grand-père était si longue et si droite
que les gens de son village en Syrie
disaient qu’un faucon aurait pu s’y poser
Quand le gouverneur ottoman vit sa moustache
il ordonna qu’on présente mon grand-père au Calife
qui se fit prendre en photo avec lui
puis l’envoya combattre dans la grande guerre.
Les armées du Calife défaites
mon grand-père est rentré à pied
d’Istamboul à son village
La rudesse du voyage l’avait rendu plus maigre
que son ombre
parfois quelques mots turcs tombaient de sa bouche
et restaient pendus à sa moustache si longue et si droite.

*

Le commerce est métier béni de dieu
l’épicier le sait qui a toutes les vertus
S’il n’a pas d’amis
c’est qu’il est l’ami de tous
Le peu de mots qu’il prononce
n’en fait pas un orateur
Mais nous
les habitués
nous savons que son silence est vrai
juste
volontaire
et plein
L’épicier devine avant moi pourquoi je suis là
Pas besoin de lui raconter
comment j’étais peintre et comment
j’ai perdu mes dix doigts dans un tableau

L’épicier
à qui on demande tout et rien
serre les lèvres pour dire qu’il n’a pas ça
Je promène ma peine dans les rayons
elle a les bras assez longs
pour ne rien attraper


 

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