Georges Lauzanne
Propositions
pour venir à bout de la misère
suivies de
Elements pour un
dictionnaire portable
de la démocratie consensuelle
alidades 2002,
collection L'impertinent, 12,5 x 21 cm, cahier, 36
pages, 4,80 , ISBN 978-2-906266-53-5
Pour mettre fin à la misère,
Swift proposait de manger les enfants, justifications chiffrées
à l'appui. Sa méthode n'a pas été suivie, non plus d'ailleurs
que d'autres, plus sensées, auxquelles il fait référence, les
ayant défendues autant qu'il a été en son pouvoir. En ce
début de XXIème siècle, la misère, il s'en faut, ne nous
épargne toujours pas, et il est clair que les déclarations
pieuses n'ont guère d'autre effet que de jeter sur elle un
écran de bons sentiments dont l'hypocrisie ne fait souvent pas
de doute. Partant de ce constat, Lauzanne, suivant la même veine
d'humour noir qui avait été celle de Swift, propose quelques
solutions, notamment que les pauvres, réduits au chômage, et
n'ayant donc guère besoin de toutes leurs facultés physiques,
vendent au plus offrant les parties d'eux-mêmes qui ne leur sont
pas strictement nécessaires pour seulement survivre. Ce recours
à l'excès mais après tout, il ne fait que désigner
certaines pratiques déjà bien en cours n'a rien de
cynique ou de gratuit, mais pointe, sur le mode grinçant une
certaine logique de l'horreur.
Extrait :
"Que notre corps soit
notre plus grande richesse, c'est indéniable et
confirmé par les plus grands philosophes (qu'on lise
là-dessus ce qu'a écrit le très judicieux Locke). Or,
à tout bien considérer, il apparaît qu'un organisme
normalement constitué est plus qu'il n'en faut pour
mener une vie inactive. Je ne serai sur ce point
contredit par aucun médecin, sinon de mauvaise foi, et
d'ailleurs la preuve de ce que j'avance se trouve dans le
fait que chacun peut constater que des personnes très
diminuées peuvent vivre de fort longues années. Je
propose donc qu'on incite les pauvres à se débarasser
des organes qui ne sont pas strictement nécessaires à
leur survie. Il serait bon, compte-tenu des besoins
croissants que nous avons d'organes à greffer, que l'on
puisse disposer d'un vaste marché sur lequel chacun
pourrait proposer un rein, un poumon, un peu de peau, de
mlle épinière, ou encore un morceau de foie. Or,
comme ces denrées ne sauraient être mises sur le
marché en nombre infini, on peut être assuré que les
cours se maintiendraient en permanence à un niveau
correct pour chaque type d'organe. Les statistiques les
plus récentes permettent d'affirmer que la demande ne
peut aller qu'en s'accroissant. Les progrès de notre
médecine permettent en effet d'envisager chaque jour des
interventions plus audacieuses, de même, la
multiplication des accidents et des catastrophes permet
le plus raisonnable optimisme quant au dynamisme de ce
marché. On peut par conséquent affirmer, sans prendre
beaucoup de risques, que l'organisation à l'échelle du
pays tout entier d'un véritable commerce d'organes
permettrait d'assurer aux plus pauvres des revenus
substanciels, ou même la constitution d'un petit capital
à faire fructifier. Mes calculs me permettent d'établir
que la vente d'un rein produirait de quoi subvenir aux
besoins d'une famille de quatre personnes pendant environ
deux mois. Un rein, un poumon, un testicule, donneraient
à peu près une année d'une vie assez confortable. Or
une famille de quatre personnes dispose d'assez d'organes
à céder pour assurer 8 à 10 années d'une existence
tout à fait satisfaisante."
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