Nicolaï Leskov
À propos de la Sonate à Kreutzer (alidades 1999)
Au bout du monde (alidades 2008)
Nicolaï
Sémionovitch Leskov (1831 - 1895) a produit une uvre
considérable, dune puissante originalité dans la
littérature russe du dix neuvième siècle, tant par son
écriture que par ses thèmes. Jacques Imbert a aussi traduit de
Leskov, pour les éditions de LAube, un somptueux et
poignant récit : Le paon, et pour les éditions des Syrtes, Hugo Pectoralis ou une volonté de fer.
À propos de
la Sonate à Kreutzer
Traduit du russe
par Jacques Imbert
alidades 1999, collection Petite Bibliothèque Russe,
14,5 x 21 cm, 26 pages, cahier, 4,00 , ISBN 978-2-906266-30-8
Leskov donne dans
cette nouvelle une variation sur le thème de la Sonate à
Kreutzer, dans laquelle Tolstoï avait dénoncé le
scandale du mariage fondé sur les conventions sociales et les
relations charnelles plus que sur lamour véritable. Si
Leskov se montre plus léger et facétieux que son illustre
maître quant à la doctrine, son récit nen est pas moins
empreint dune sourde gravité.
Critique : Ce récit est tiré a deux cent cinquante
exemplaires, annonce léditeur. Il mérite pourtant, par sa
finesse dobservation et sa sobriété, beaucoup plus de
lecteurs. Christian Molinier, Le Matricule des Anges,
n°29, janvier-mars 2000.
Extrait :
"On enterrait Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski.
La journée était sombre et glaciale. Jétais
souffrant et je dus me faire violence pour accompagner le
cercueil jusquaux portes du monastère Nievski. Une
bousculade générale eut lieu à lentrée. Dans la
cohue on entendait des gens gémir et hurler. Le
dramaturge Averkiev apparut sur un tertre, doù il
dominait la foule, et cria quelque chose. La voix était
forte, mais on ne pouvait distinguer les paroles. Il
voulait rétablir lordre, disaient certains en
lapprouvant, dautres sirritaient contre
lui. Je fus de ceux quon ne laissa pas franchir
lenceinte, et ne voyant pas lintérêt de
demeurer là plus longtemps, je rentrai chez moi, bus du
thé chaud et mendormis. Javais été très
fatigué par le froid et des impressions fort
contrastées ; je dormis donc si profondément que je
laissai passer lheure du souper. Jen aurais
de toute façon été privé ce soir-là, car à cette
foule dimpressions vint sen ajouter une qui
me troubla beaucoup.
Les
ténèbres étaient profondes quand ma servante me
réveilla pour me dire quune inconnue était là
qui demandait instamment à être reçue. Les visites
féminines chez nous autres, les écrivains âgés, sont
une chose assez banale. Jeunes filles et dames viennent
souvent chercher conseil pour leurs débuts littéraires
ou quelque recommandation auprès déditeurs
quelles ne connaissent pas encore. Aussi la venue
de cette dame et son obstination ne métonnèrent
nullement. En outre, une telle insistance peut être due
à un grand malheur ou à un besoin impérieux. Je la fis
conduire dans mon cabinet de travail et me préparai à
la recevoir. Quand jentrai dans la pièce, ma
grande lampe de bureau était allumée. Elle éclairait
vivement la table, mais la pièce elle-même restait dans
la pénombre. Cette fois-ci, la visiteuse métait
bel et bien inconnue."
Au bout du monde
Traduit du russe
par Jacques Imbert, postface de Bruno Gaurier
alidades 2008, collection Petite Bibliothèque Russe,
12,5 x 21 cm, 64 pages, cahier, 7,50 , ISBN 978-2-906266-77-3
Dans ce récit d'une extrême densité s'opposent deux mondes : celui des paroles raffinées et des certitudes savantes et mondaines de l'élite ecclésiastique de Petersbourg, celui silencieux des brutes "sauvages", puantes et simples du fin fond de la Sibérie. Leskov opère à la fois un questionnement et un retournement des valeurs : la tempête de neige, qui est le point culminant du récit en est tout à la fois le cadre et la métaphore. L'espace sibérien, peuplé d'inconnu, conduit à l'expérience des confins où tout vacille, y compris les canons d'une orthodoxie trop satisfaite d'elle-même. La traduction de Jacques Imbert redonne à ce récit toute sa saveur et sa grandeur.
Extrait :
“– On peut pas faire confiance à un baptisé, batchka ; personne ne peut.
– Tu mens, crétin de sauvage ! Pourquoi ne pas faire confiance à un baptisé ? Un baptisé serait-il pire qu’un idolâtre ?
– Pourquoi pire ? Un homme est un homme.
– Tu vois, tu le dis toi-même, non ?
– Je sais pas, tu dis qu’il est pas pire, et moi je le dis aussi ; mais on peut pas lui faire confiance.
– Comment se fait-il donc ?
– C’est parce que le pope lui pardonne le péché, batchka.
– Quel mal y a-t-il à ça ? Vaut-il mieux rester sans pardon ?
– Rester sans pardon ? Impossible. Faut demander pardon.
– Je n’arrive pas à te comprendre. Qu’est-ce que tu veux dire ?
– Ça, batchka : un baptisé a volé, il va le dire au pope et le pope, batchka, va lui pardonner : pour ça, les gens le croiront plus.
– Arrête tes bêtises ! Donc, d’après toi, remettre le péché, ça ne vaut rien ?
– Non, chez nous, ça vaut rien.
– Comment faut-il faire, d’après vous ?
– Comme ça, batchka : ce que tu as volé, tu le rends au propriétaire et tu lui demandes pardon ; l’homme pardonne, et Dieu aussi pardonne.
– Mais le pope aussi est un homme. Alors pourquoi il ne peut pas pardonner ?
– Pourquoi il peut pas pardonner ? Le pope peut aussi. À celui qui a volé le pope, le pope peut pardonner, batchka.
– Mais s’il a volé quelqu’un d’autre, le pope ne peut pas lui pardonner ?
– Impossible, ça sera pas juste. On lui fera pas confiance.”
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