Mirella Muià
• Empédocle - poème narratif
• Portrait de père inconnu - roman adressé
• La toile / La tela - poème narratif à plusieurs voix
Mirella Muià vit en Calabre,
d'où elle est originaire, et se consacre à la réfection et à
la création d'icônes. Elle écrit indifféremment en français et en italien ; outre
les livres ici présentés, elle a donné aux éditions Alinéa
une traduction du magnifique livre de Lidia Storoni-Mazzolani Une
épouse.
Empédocle
poème narratif
alidades 1997, 12,5 x 21 cm, 24 pages, 3,50 , ISBN
978-2-906266-18-6
Empédocle est le récit d'une passion qui
s'exprime ici dans la narration poétique, seule vraiment capable
de retenir et de désigner ce qui fait le sens d'un acte et donne
aux signes leur portée définitive. La sandale restée au bord
du cratère achève et confirme la confusion du philosophique et
du poétique, mais elle est surtout l'objet symbolique de la
sincérité trompée et réaffirmée face à la brutalité du
monde.
Extrait :
(...)
D'après l'histoire
quelqu'un me suivra
et m'atteindra
Les aimés, les plus aimés
sont des poursuivants tenaces
Dans leur inquiétude
ils viendront
tremblant de la crainte des amants :
l'absence de l'objet
est comme la mort
Ils viendront donc
et parleront du passé,
mais à qui ?
Où est l'homme de leur mémoire
qu'ils tiennent prisonnier
comme une photo d'un mort
le blanc jauni
le noir fuligineux
Quelle lumière brûle encore
devant l'image de l'homme
disparu depuis si longtemps ?
(...)
Portrait de père inconnu
Récit adressé
alidades 1988, collection "création",
152 pages, 12 x
18,5 cm, broché, 14,50 , ISBN 978-2-906266-03-2
Rechercher un père qu'on ne
connaît pas revient d'abord, dans une tension désespérante, à
inventer son portrait. Car on ne peut raconter de lui que ce
qu'on ne sait pas. Plus tard, lorsqu'affluent les détails
concrets, cette première image se trouble et il lui faut passer
du négatif au positif, par le seul moyen qui permette ce passage
du creux au plein, de l'ombre à la lumière : la langue.
Rechercher le père, c'est enfin posséder sa langue et
découvrir tout ce qui en elle se tient : un pays, des hommes,
des voix et des sons, des odeurs... qui sont à eux tous le père
dont l'identité et la présence physique sont devenues
superflues.
C'est cela que raconte Mirella Muià dans un récit d'une grande
délicatesse d'écriture qui s'appuie, comme on dit, sur une
histoire vécue.
Extrait :
Je
sortis de mon sac de voyage la grande enveloppe qui
contenait des photos de ma mère à l'époque de son
séjour à l'étranger, de moi à tous les âges, de
notre maison avec le jardin, et ce que j'appelai, riant
avec vous, mon "résumé" : l'histoire de tout
ce que j'avais cru, de tout ce qui m'avait été raconté
depuis mon enfance, la façon dont j'avais pu
reconstruire les souvenirs maternels, et le récit de sa
dernière version retrouvée.
J'avais préparé tout cela pour que l'homme qui devait
être mon père n'eût aucun doute : nous n'avions rien
inventé, rien laissé au hasard.
Je me rendis à la première adresse avec la sensation de
commettre un acte grotesque et arbitraire, plus
arbitraire encore que celui du colporteur frappant à une
porte, et ne retrouvant plus aucun des objets à vendre
dans sa valise usée.
J'arrivai avec peine à expliquer à la vieille femme qui
m'avait ouvert la porte pourquoi je désirais lui parler
de son fils.
Elle en avait plusieurs et aucun n'était peintre. En
disant cela elle secouait la tête d'un air incrédule et
légèrement scandalisé, comme si l'idée d'avoir un
fils peintre lui paraissait inconcevable.
Elle avait l'aspect d'une servante. M'étais-je trompé ?
C'était pourtant la baronne qui m'avait ouvert la porte,
une femme aux yeux aigus, méfiants.
"Mes parents ont connu, il y a des années, un
peintre de ce nom".
"Je ne vois vraiment pas", dit-elle me
regardant de bas en haut devant la porte entrouverte
d'où je ne pouvais distinguer aucune ligne de meubles ou
d'objets.
"Qui est-ce ?", dit une voix venant de cette
pénombre, et un homme apparut, de petite taille, le
crâne luisant, les mêmes yeux que sa mère, mais son
regard myope était incertain. Il lissait constamment une
petite moustache noire qui tranchait sur son visage. La
vieille femme lui expliqua en quelques mots rapides,
s'adressant à lui dans le dialecte que j'avais appris à
comprendre. Dans ses paroles je crus discerner une pointe
de cette hostilité envers l'inconnu, venant poser des
questions auxquelles personne ne pourrait répondre.
L'homme ouvrit d'un seul geste la porte d'entrée, et
derrière lui j'entrevis une autre porte, ouverte sur une
pièce claire dont la seule paroi visible était
tapissée de livres.
"Excusez ma mère, nous n'avons pas l'habitude de
recevoir des visites"
La Toile / La Tela
Bilingue italien / français, version française de l'auteur.
Frontispice d'Edwige Brégent.
alidades 1986, collection "bilingues",
124 pages,
broché, 11 x 16,5 cm, 11,50 ,
ISBN 978-2-906266-00-1
Un poème-récit à plusieurs
voix, où comme dans les grands poèmes narratifs de Ritsos, se
retrouvent l'esprit et le souffle méditerranéens. Mirella Muià
dit dans une langue simple et ciselée la réalité quotidienne
de la femme dans ce qu'elle a d'universellement tragique. Et ce
n'est pas un hasard si La Toile résonne
comme un écho moderne du mythe de Pénélope et prend une
dimension intemporelle. L'olivier déraciné, le métier à
tisser, le départ du marin, la pétrification de la femme
abandonnée, autant de thèmes qui forment la charpente de ce
texte écrit simultanément dans les langues française et
italienne et qui avait été distingué l'année de sa parution
parmi les cinq meilleurs recueils de poésie retenus par la
Maison de la Poésie de Paris.
Extrait :
Nous sortions en groupe
le jour de la procession en mer
C'est alors que la barque bleue
se détachait du rivage
lourdement
puis retrouvait sa gravité de coquille
chargée de la haute statue
d'un bleu plus sombre
L'ovale rosé
les charbons étincelants des yeux
étaient tournés vers le large
(et l'éclair brun des marins-porteurs
brillait encore sous l'eau)
La foule de la grève
ne voyait que l'ample manteau
aux plis si lourds
(les talons des marins-porteurs
battaient l'écume
à peine plus sombres
qu'elle)
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a gruppi uscivamo
il giorno della processione a mare
Allora la barca azzurra
si staccava da riva
pesantemente
poi ritrovava la sua gravità di guscio
carico dell'alta statua d'un azzurro più cupo
L'ovale rosato
e i carboni scintillanti degli occhi
fissavano il largo
(il guizzo bruno dei marinai-portatori
ancora luceva sott'acqua)
Dalla spiaggia vedevamo solo
l'ampio mantello di pieghe pesanti
(i talloni dei marinai-portatori
battevano la schiuma
appena più scuri
dell'acqua)
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